La réforme des collectivités votée le 16 décembre dernier va remplacer en 2014, les 52 conseillers généraux et les 16 conseillers régionaux des Côtes d'Armor par 35 « conseillers territoriaux » qui siègeront à la fois au Conseil général et au Conseil régional. Les 20 et 27 mars prochains aura donc lieu la dernière élection du conseiller général du canton de Plouha, l'occasion de revenir sur l'histoire cantonale depuis deux siècles...
Passionné d'histoire en général, passionné par l'histoire locale du canton dans lequel il a grandi, Eric Duval a souhaité retracer l'histoire politique du canton de Plouha depuis la Révolution, à partir de ses recherches aux Archives Départementales. L'article complet sera publié dans la prochaine édition des Carnets du Goëlo sous le titre« Histoire politique du canton de Plouha ». Il souhaite également témoigner de l'attachement qu'il porte à la politique de sauvegarde du patrimoine historique immobilier et mobilier du Département et particulièrement aux services des Archives Départementales, dont on ne peut que regretter la réduction drastique des crédits cette année...
Histoire des conseillers généraux de Plouha
Le 25 pluviôse an X (14 février 1802), le canton de Plouha est créé pour déterminer le ressort d'un juge de paix, avec les communes de Lanleff, Lanloup, Pléhédel, Plouha, Plouhran, Pludual, Tréveneuc et Saint-Quay. Mais la création de la commune de Binic et du canton d'Etables en 1821 va soustraire les communes de Saint-Quay, Plouhran et Tréveneuc. Les limites actuelles du canton sont donc fixées avec cinq communes : Lanleff, Lanloup, Pléhédel, Pludual et Plouha.
Créés le 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), les conseillers généraux ne sont pas élus mais nommés par l'Empereur puis par le Roi, par arrondissement et non par canton. Il en est ainsi nommé sept pour l'arrondissement de Saint-Brieuc, parmi lesquels, à proximité du canton de Plouha, Louis Morand, armateur, maire de Paimpol, conseiller général de l'an VIII à 1815, suivi par Corouge, armateur à Paimpol et Jean-Joseph Nicol, marchand et maire de Paimpol, conseiller général nommé de 1816 à 1833. Le Conseil général dispose alors de peu de prérogatives. Tout au plus peut-il émettre des voeux ou avis sur les besoins du département.
Les premiers conseillers élus
A partir de 1833, les conseillers généraux sont désormais élus au suffrage censitaire à raison d'un par canton. Cela dit, le nombre de membre étant limité à trente pour chaque Conseil général, certains cantons sont associés comme celui de Plouha avec celui de Paimpol jusqu'en 1836 et avec celui d'Etables à partir de 1840. Les premières élections cantonales se déroulent le 14 novembre 1833. Le scrutin est âprement disputé et donne l'avantage au conseiller général sortant (en place depuis 1816), Joseph Jean Nicol, maire de Paimpol. Mais en 1834, les 77 électeurs des cantons de Plouha et Paimpol décident d'élire le maire de Binic, François Le Saulnier de Saint-Jouan, armateur à Binic. Président du Conseil général à partir de 1835, il sera reconduit jusqu'en 1847. Cela dit, aux élections de 1840, le canton de Plouha est associé à celui d'Etables pour élire Louis Bernard de Rennes, fils d'un négociant de Brest originaire de Pleubian et d'Yvonne Lesné, fille et petite-fille du maire de Plouha. Avocat, puis haut magistrat à Paris, candidat des libéraux, il est constamment réélu député jusqu'en 1848. Bernard préside le Conseil général de 1844 à 1848. Le conseil ne se réunit qu'une fois par an. Durant son mandat, le plus gros investissement est le débarcadère pour la marne à Port Moguer (dont Bernard avance personnellement le financement) et la création de la D 21.
Louis Bernard de Rennes
1848, la nouvelle République met en place le suffrage universel direct. Le conseiller d'arrondissement Curatteau de Courson tente de se faire élire au Conseil général mais perd l'élection contre un médecin de Lanloup, Pierre Chaumont (59,44%). Toutefois, le retour d'un régime impérial à partir de 1852 provoque de nouvelles élections. Les candidatures des anciens maires de Plouha, Curatteau et Allain pèsent peu face à celle du général-comte Charles de Goyon, aide de camps de l'Empereur (96,7%) reconduit en 1855, avec 96,92%. Ces résultats étonnant, qui plus est pour un homme qui n'habite pas le canton, reflètent une candidature officielle !
Charles de Goyon
La place qu'il occupe auprès de l'Empereur éloigne le général du département, souvent absent aux sessions du Conseil général mais on s'enorgueillit de ses exploits militaires chargé de diriger l'armée d'occupation à Rome. Sénateur, président du Conseil général depuis 1861, il peut enfin siéger en 1863: « Notre noble Empereur Napoléon III a daigné me permettre de venir prendre ma place parmi vous, je m'en applaudis, toujours heureux et fier de concourir avec vous, aux améliorations qui sont dans sa pensée, comme sont le but de ses constants efforts ». Illustration concrète des efforts de modernisation du pays, le canton de Plouha bénéficie d'investissements importants : D 786 refaite, entretien de Notre-Dame de Kermaria et du Temple de Lanleff « glorieux témoignages de l'habileté et de la foi de nos pères », équipements maritimes (amer de Plouha en 1867 ; débarcadère de Bréhec pour l'exploitation des « engrais de mer » ; balise du Taureau au large la pointe de la Tour, en 1863)...
Conservateurs et Républicains
Le général décède en mai 1870, les élections cantonales de juin 1870 attribuent 54 % au gendre de Bernard de Rennes. Le nouveau conseiller général, Edme Armet de Lisle, est également magistrat, conseiller à la Cour impériale de Paris (cour d'appel), âgé de 59 ans. La mise en place de la nouvelle République ne l'empêche pas de se maintenir dans son mandat aux élections d'octobre 1871 qu'il remporte avec 60,58% des voix. L'élection de 1874 oppose Armet de Lisle à une personnalité politique d'envergure nationale : le député républicain Alexandre Glais-Bizoin. Ne rentrant dans aucun débat national, Armet remporte l'élection avec 60,61% des voix. Il sera candidat en vain à la présidence du Conseil général. Armet place souvent sa compétence juridique au service de ses collègues. On notera durant son mandat, la création d'un syndicat des gens de mer à Plouha.
Edme Armet de Lisle
A la suite du décès d'Armet - dont le Conseil général salue le « haute intelligence », le « coeur droit » et la « noblesse de sentiments » - de nouvelles élections sont prévues le 14 février suivant. L'improvisation de la campagne, tout autant que l'absence de candidature du maire et conseiller d'arrondissement Pierre-Marie Jouvelin donne un avantage important à Alfred Bessard, notaire, républicain et candidat unique. Mais parallèlement, après un an de présidence républicaine de Jules Grévy, le canton de Plouha ne semble pas adhérer longtemps au nouveau courant. Les électeurs sont convoqués en janvier 1880. Cette fois-ci, un homme qui n'est pas issu de la commune chef-lieu est candidat : le marquis Bruno de Boisgelin de Pléhédel. Petit-fils d'un député de la Seine et l'Ile-et-Vilaine, fils d'un pair de France, Boisgelin s'inscrit dans la continuité politique de ses prédécesseurs et relaie toute l'inquiétude des campagnes face aux bouleversement que connaît la société depuis un an. Boisgelin, « candidat conservateur » obtient dès le premier tours 59,32%, contre Bessard 34,95%. Quelques jours plus tard, les élections au conseil d'arrondissement confirment la tendance en faveur des Conservateurs Jouvelin obtenant 71,72 % contre Bessard 21,8%. Bessard dépose en vain une requête en annulation de l'élection, arguant de pressions sur les électeurs. Cela dit, il est élu maire en 1882 et entame la « laïcisation de l'école » en 1885 avec l'expulsion des frères. Dans un vif débat contre le Préfet au Conseil général, Boisgelin demande en vain leur retour.
Bruno de Boisgelin
En 1886, Bessard tente de rassurer : « vous ne croirez pas que la Religion trouve en nous des ennemis dans notre vieille et pieuse Bretagne » ! Malgré les réformes douloureuses à Plouha, Jouvelin peine à reprendre la main. Les scrutins sont dorénavant liés, le résultat des cantonales étant presque systématiquement confirmé aux municipales. A l'échelon national, les cartes politiques sont redistribuées et le clivage Républicains/Conservateurs perd de son acuité, d'autant plus avec l'arrivée du Radical, Emile Combe qui impose pour la première fois le clivage gauche/droite. Sous son mandat, le canton voit arriver la ligne de chemin de fer en 1905-1908 avec la ligne de Saint-Brieuc-Plouha et Plouha-Guingamp et une caserne de gendarmerie est construite rue Loti en 1904.
Après 25 ans de mairie et 20 ans de Conseil général, Bessard annonce son départ et ne se représente pas. Jouvelin laisse la place à son fils Pierre Ange Marie Jouvelin, également notaire qui en profite pour dénoncer les réformes brutales mises en oeuvre par les Radicaux, ceux qui, selon lui, n'ont pour seule devise qu'« à bas la culotte ». Jouvelin gagne à 52% contre un Paimpolais, inspecteur des Beaux Arts à Paris, Armand Dayot. Un recours est immédiatement formé critiquant l'ingérence du clergé, pour tenter d'annuler la victoire du « candidat réactionnaire ». Le Préfet écrit lui-même à Emile Combes pour faire pression sur les magistrats... Mais face au défaut de preuve, le Conseil d'Etat maintient le résultat et, constatant des irrégularités, le corrige, Jouvelin a gagné à 54,12%. Quelques temps après, Alfred Bessard, âgé de 77 ans se désiste de sa mairie en 1908. Un nouveau maire Conservateur, Armand de la Villesbret est élu, mais il est retrouvé mort à l'amorce du chemin de Pléguien, suite à accident de voiture à cheval. Refusant de cumuler avec sa nouvelle fonction de maire, Jouvelin ne se positionne pas pour les élections cantonales de 1912 et laisse la place au Radical Le Cornec, maire de Lanloup.
Au lendemain de la guerre, les choses s'inversent. Le Cornec se retire de la vie politique. Après onze ans de mairie, Jouvelin perd les élections municipales face à Maître Robin, successeur professionnel et politique de Bessard. L'élection cantonale oppose maintenant Jouvelin au médecin Radical Texier qui ne se défend de toute « réaction » ou « bolchevisme ». Mais l'élection donne Jouvelin très nettement gagnant avec 69,45 %.
En 1922, Jouvelin se maintient au Conseil général : « vous connaissez mes idées, elles sont aujourd'hui telles qu'elles étaient hier » mais dorénavant, il articule sa campagne sur les mots de la devise républicaine de sorte, dit-il, qu'ils « soient gravés dans nos coeurs ». A noter, pour la première fois, la présence d'un candidat Socialiste (SFIO) soutenu par Robin qui n'obtient que 6,59%. Renforcé, Jouvelin regagne alors la fonction de maire en mai 1925 avec 55,59 % contre Robin 44,41 %, tandis que son premier adjoint, Emile Le Guen, gagne le Conseil d'arrondissement.
Uniforme de Conseiller général link
Les élections cantonales de 1928 sont l'occasion pour Robin de jouer sa revanche. Mais sa candidature génère un ensemble de crispations nées de la défaite aux municipales de 1925 avec des dissensions internes au comité républicain du canton et deux tracts : celui d'un « Vieux Républicain » qui dénonce un candidat qui « accorde si peu de valeur à la parole » et celui du conseiller d'arrondissement Epert, homme simple qui raconte comme Robin se moquait de son défaut d'instruction, de sa manière de parler et de ses habits usés : « Electeurs, si vous abordez M. Robin, Conseiller général, il rira de vos défauts dès que vous aurez tourné vos talons »! Au soir du 14 octobre 1928, les résultats donnent à Maître Jouvelin 50,70% et 49,30% à Maître Robin. Dès le 20 octobre, Robin entame en vain une action en nullité. Cela dit, Jouvelin est mis en minorité de très peu, sur la commune dont il est maire. Jouvelin perd l'élection municipale de 1928 et Robin redevient maire. Mais deux ans plus tard, en 1931, c'est bien Emile Le Guen qui se trouve reconduit dans son mandat de conseiller d'arrondissement, contre un Radical avec 64,61 % des voix.
Centristes et Socialistes
Le Guen amorce un tournant en se déclarant pleinement Républicain. Robin décède en 1931 et le greffier de paix Désiré Droumaguet lui succède à la mairie. En 1934, Jouvelin ne se représente pas aux élections cantonales et laisse sa place à Le Guen qui remporte l'élection haut la main contre Droumaguet avec 57,13 %. Le débat opposera maintenant un candidat du centre à un socialiste (le SFIO ayant pris la tête de la gauche à partir de 1936). Suspendus en 1940, les Conseils généraux ne sont rétablis qu'en avril 1944. Droumaguet laisse la place à son fils Maître Louis Droumaguet, notaire, qui devient conseiller général sous l'étiquette SFIO. Face à lui, le neveu d'Emile Le Guen, Alain Le Guen présente une candidature en 1949 et 1955 sous la bannière du Centre démocrate et social puis du MRP. Député à partir de 1958, il ne parvient au Conseil général qu'en 1964. Cela lui ouvre la voie pour la mairie en 1971. En 1974, il est reconduit dans son mandat de conseiller général face au Socialiste Jean Derrien.
En 1977, Alain Le Guen ne se représente pas aux élections municipales face au clerc de notaire Jean Lanno, Socialiste, qui devient maire de Plouha et remporte les élections cantonales de 1979. Jean Derrien, premier adjoint, remplace Jean Lanno au Conseil général, en 1985 et à la mairie, en 1989, postes qu'il conservera jusqu'en 2001 pour le premier et en 2004 pour le second. Les centristes Alain Parlier, maire de Plédédel, Francine Guyot, maire de Pludual et Jean-Claude Le Guen, fils d'Emile Le Guen prennent la suite du combat mais il ne parviennent pas à s'imposer aux élections cantonales face à Jean Derrien. En 2001, Jean-Claude Le Guen remporte la mairie mais en 2004 c'est le conseiller municipal d'opposition socialiste Philippe Delsol qui remporte l'élection ce qui lui ouvre la voie pour la mairie en 2008.
Depuis 1880, compte tenu du poids démographique de Plouha, un succès aux cantonales annonce presque toujours un succès aux élections municipales suivantes à Plouha. Entre temps, les lois de décentralisation de 1982 et 2004 donnent de nouvelles libertés aux Conseils généraux et un champs d'action qu'ils n'avaient jamais connu. Pour autant, avec la réforme des collectivités, le canton élira en 2011, le 17e et dernier conseiller général de Plouha !
Eric Duval
Conseiller municipal Plouha
1833 | Joseph Nicol | Maire de Paimpol |
1834 | Louis Le Saulnier Saint Jouan | Maire de Binic |
1840 | Louis Bernard de Rennes | Député |
1848 | Pierre Chaumont | Médecin à Lanloup |
1852 | Charles de Goyon | Général |
1870 | Edme Armet de Lisle | Conseiller à Plouha |
1879 | Alfred Bessard | Maire de Plouha |
1880 | Bruno de Boisgelin | Pléhédel |
1886 | Alfred Bessard | Maire de Plouha |
1904 | Pierre Jouvelin | Maire de Plouha |
1912 | Pierre Le Cornec | Maire de Lanloup |
1919 | Pierre Jouvelin | Maire de Plouha |
1934 | Emile Le Guen | Maire de Plouha |
1945 | Louis Droumaguet | Maire de Plouha |
1964 | Alain Le Guen | Maire de Plouha |
1979 | Jean Lanno | Maire de Plouha |
1985 | Jean Derrien | Maire de Plouha |
2004 | Philippe Delsol | Maire de Plouha |